Quel rôle peut jouer la philosophie face à la crise ? Compte-rendu de la visio-conférence de Faire Philo du 10 avril 2020

Suite à notre réunion du 3 avril (dont le compte-rendu est disponible ici) autour de la poursuite d’une activité entrepreneuriale en tant que philosophes, poursuivons notre réflexion commune au sujet de notre métier à l’heure de la crise. Car au-delà des problématiques que nous rencontrons dans l’immédiat en raison du confinement et du ralentissement nécessaire de nos activités, se posent des questions essentielles quant à la raison d’être de notre profession, pour accompagner individus et organisations.

Quel sera le rôle de la philosophie au XXIe siècle ? Et à notre échelle, en tant que philosophes, quelle posture adopter à la sortie de la crise ? L’association Faire Philo propose de poser les bases d’une réflexion commune, lors de cet échange ouvert au-delà de notre cercle d’adhérents.

Participants :

  • Anne-Adeline Fourtet, Trésorière de Faire Philo, consultante en organisation et auprès d’individus chez Maïeuthika, et porteuse du projet Lookforfrench.com
  • Nicolas Bouteloup, doctorant (spécialiste de Spinoza), responsable de la production de contenu autour du design thinking et des nouvelles formes de travail chez nod-A
  • Guillaume Rosquin, philosophe d’entreprise via l’animation d’ateliers de réflexion chez Koru Conseil
  • Tristan Bitsch, co-fondateur de la Maison de la Philosophie Pratique à Lyon, consultant indépendant en tant que philosophe chez Smart Transition
  • Elisabeth Denoeud, enseignante en primaire (titulaire d’un master en philosophie), se formant à la sophrologie
  • Nelly Margotton, consultante chez Phedon accompagnant individus, collectifs et organisations, chroniqueuse radio
  • Agathe Vidal, consultante en organisations et formatrice en philosophie
  • Marianne Mercier, co-présidente de Faire Philo et de La Pause Philo, consultante indépendante en organisation

Face à la crise, il importe de réfléchir à la posture que nous pouvons adopter en tant que philosophes. La philosophie possède une puissance transformatrice, et c’est parce que nous en sommes convaincus que nous avons choisi de nous orienter vers cette profession, ce qui est déjà un parti-pris de notre part.

Le philosophe peut d’abord adopter une posture d’écoute à ceux qui en ont besoin, en alternative aux approches psychologiques. Les questionnements existentiels ont aussi besoin d’être accompagnés, particulièrement en cette période. Le recueil de la réaction de nos clients, de leurs mots, permet de clarifier avec eux ce qu’ils traversent.
En pratiquant la philosophie dans les organisations, en remettant en cause les modèles et logiques sous-jacents dans leurs fonctionnements, les situations de crise peuvent être anticipées et évitées.
La crise soulève des questions de fond et permet de révéler le fonctionnement des organisations, leur culture, leurs habitudes et les relations humaines qui les composent. Ainsi, chaque organisation a sa réaction propre face à cette situation.

Jusqu’à quel point la philosophie est pertinente pour penser le changement ? Quelles sont les limites de l’approche philosophique face à une actualité qui va si vite ? La prise de décision en situation de crise est mise à rude épreuve : la science n’a pas le temps, c’est alors la responsabilité du politique. Face à l’urgence, le philosophe peut-il alors endosser ce rôle d’esprit critique, de capacité de recul et d’abstraction pour analyser le problème plus efficacement et globalement ?
La philosophie peut se pratiquer en lien avec d’autres disciplines (l’histoire, la sociologie, l’anthropologie…). Cette interdisciplinarité renforce sa capacité à adopter un regard d’ensemble sur les phénomènes complexes à l’œuvre en ce moment.

Aussi, avant de penser à l’après, il faut d’abord en tant que philosophe prendre le temps de comprendre la crise en elle-même. Tout en partageant avec les sciences une rigueur intellectuelle, la pratique de la philosophie a pour force d’être dans le temps long. On ne peut pas être philosophe et pressé !
En donnant du sens et de la cohérence entre des phénomènes de prime abord isolés, la philosophie aide à penser l’éthique d’une organisation, à donner du sens (une direction) et un sens (une interprétation).

Pour autant, est-ce le rôle du philosophe de prendre les décisions ? A l’image de Socrate, il peut « piquer », aider à poser un cadre de pensée, permettant ensuite aux dirigeants de prendre des décisions éclairées par eux-mêmes (n’oublions pas cependant le destin funeste de Socrate… celui qui pointe le problème peut finir par en être accusé !). Finalement, la philosophie accompagne le doute plutôt que la décision, c’est grâce au doute que la démarche de réflexion s’ouvre.
La philosophie sert à prévenir pour mieux agir, mais aussi à amener une forme de liberté : une liberté de penser, de s’accorder un droit à l’erreur.

Quelle prise en compte des émotions dans ce cadre ? Il apparait nécessaire de se rappeler la définition de « crise », dont la racine grecque crisis renvoie au jugement : comment produire un jugement adéquat dans une situation de peur et d’anxiété ?
La crise a pour caractéristique d’être toujours un phénomène hors norme, imprévisible, intense, ce qui parait a priori incompatible avec la philosophie. Mais la crise exacerbe les pratiques habituelles des organisations, des individus, elle met en lumière des vérités cachées en temps ordinaire. Les émotions peuvent alors être interrogées par le philosophe en tant qu’elles parlent d’une identité, d’une essence d’une organisation, d’une personne.

Le contexte de crise apparait alors propice pour changer les manières de faire et de penser, et permet de se dépasser. C’est une période d’effondrement, au sens où l’on « sort du fond » : plutôt que penser la chute, pensons l’après.

Les concepts de résilience et reviviscence permettent de se réinterroger sur les valeurs qui nous semblent essentielles dans ce contexte, sur ce qui va mourir et renaître.

D’autres questions se soulèvent alors au moment de conclure l’échange : peut-on interroger la crise dans la philosophie ? La philosophie n’est-elle pas elle-même en crise, résout-elle les problèmes ou les complexifie-t-elle ? En retour, les situations de crise peuvent-elles jouer un rôle dans la philosophie et l’inspirer ? Autant d’enjeux auxquels notre profession va devoir faire face en ce contexte de questionnement généralisé de nos façons de faire.

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